Dr Jean-Paul Ortiz, « être de tous les combats »
« À l’époque où mes parents sont arrivés d’Espagne en France, fuyant la guerre civile, nous étions dans une logique de méritocratie. »
Jean-Paul Ortiz
La valeur travail, le docteur Jean-Paul Ortiz l’a chevillée au corps depuis l’enfance tout comme sa reconnaissance envers l’école de la République française, formidable ascenseur social. Il fera la faculté de médecine, choisira la néphrologie pour la performance de son aspect technique, et surtout, pour le lien au long cours que cette pathologie génère entre le médecin et son patient. Il entame sa carrière au Centre hospitalier de Perpignan.
L’engagement est inscrit dans ses gènes. Au lycée, à l’université, durant l’internat durant lequel il devient Président national des internes ; « l’action n’a de sens que si elle est collective ». Aujourd’hui, après moult fonctions syndicales, il est président de la Confédération des syndicats médicaux français, premier syndicat médical français.
« Parce que très vite je me suis rendu compte que seul on se battait avec difficulté pour améliorer les choses, comme le contenu de son métier, la prise en charge des patients, sa vie professionnelle, et qu’il fallait s’unir, se rassembler, pour avancer tous ensemble. À un moment donné, et cela a guidé mon engagement syndical, le sens de l’intérêt collectif passe devant l’intérêt personnel, réservé au court terme. »
Jean-Paul Ortiz
Engagement environnemental aussi
À ses combats, il a ajouté la relation santé-environnement.
« Il y a des éléments que l’on connaissait déjà, en particulier les éléments toxiques nocifs pour les poumons ou qui provoquent un cancer de la vessie. On voit qu’au fur et à mesure de l’allongement de la durée de vie que l’empreinte environnementale est de plus en plus évidente. Aujourd’hui, les bronchiolites explosent chez les enfants en milieu urbain, les problèmes cutanés se multiplient et le lien entre la qualité de l’air et la santé est évident. »
Jean-Paul Ortiz
Mais ce dont peu de personnes parlent et qui préoccupe le Dr Jean-Paul Ortiz, c’est la baisse de la fertilité masculine.
« Les spermogrammes sont de plus en plus pauvres avec une concentration en spermatozoïdes qui s’est quasiment réduite de moitié en près de 40 ans. Il faut que l’on réfléchisse à un grand ministère « One health » pour aborder la santé de façon globale. Le médecin a un rôle essentiel à jouer dans la mise en place des politiques de développement durable dans les établissements de santé. »
Jean-Paul Ortiz
Comment ?
« De façons multiples, et en premier dans l’espace du cabinet médical qui doit être « vert », ce qui implique la disponibilité de sources d’énergie renouvelables, et au-delà, revoir les produits de nettoyage, promouvoir l’emploi du numérique afin d’éviter le papier, supprimer les déplacements et les prescriptions inutiles. J’ai été enthousiasmé par l’école de Stockholm et l’indice PBT*. Avoir demain des logiciels d’aide à la prescription dans une logique de suggestion qui intégrerait tous ces éléments… De la même façon, il faut réfléchir lorsque nous demandons un examen complémentaire radiologique qui utilise des produits iodés ; comment peut-on optimiser ou diminuer les doses de rayonnement ?»
Jean-Paul Ortiz
Sans oublier l’incroyable gâchis du jetable auquel le Dr Ortiz a assisté dans les services de dialyse où « la somme de déchets est phénoménale ». Au Centre de néphrologie de Cabestany où exerce Jean-Paul Ortiz, le tri des déchets est réfléchi en fonction de l’énergie nécessaire, du circuit et de l’impact sur l’environnement des consommables.
Cette réflexion est aussi présente dans ses rares moments de loisir. Cap non pas sur la mer, un monde qu’il ignore, mais sur la montagne dont il est amoureux, pour des randonnées à pied ou en VTT.
«La montagne est tellement belle en toutes saisons ! »
Jean-Paul Ortiz
Cap aussi chaque année sur Marciac et son formidable festival de jazz avec de préférence des sonorités d’influence sud-américaine ou cubaine. « Ce latino jazz est extrêmement intéressant ». Marciac, c’est le souvenir d’un concert de Keith Jarrett… Si le temps personnel est compté, celui consacré aux autres ne l’est pas. Jean-Paul Ortiz prend le temps nécessaire pour écouter, être au service d’autrui, toujours à la recherche d’un consensus. L’agressivité, il ne connaît pas mais la colère oui, face à l’inégalité, à l’injustice.
« Le sentiment d’iniquité est insupportable. Il faut faire attention, être vigilant dans une époque où les choses se délitent.»
Jean-Paul Ortiz
Gabin Momal a calculé les éventuelles économies que le CHU de Lille pourrait faire en appliquant ce principe d’écoconception des soins. Ce n’est pas rien.
« Une telle démarche pourrait déboucher sur une baisse de 45 % de l’impact environnemental, en termes de gaz à effet de serre et sur plusieurs dizaines de milliers d’euros d’économies en rationalisant les achats et en passant des instruments jetables à des instruments réutilisables qui tourneraient en circuit court avec l’unité de stérilisation du CHU ! J’aimerais que cette démarche d’écoconception des soins soit au cœur de mon futur travail, de la prise en charge du patient, quitte à ce que cela soit plus onéreux pour moi et même si cela entraîne des démarches, une dépense d’énergie supplémentaire. Il faudrait que ce soit plus facile. L’avenir est dans le durable, utiliser puis jeter est contre-nature ! Pour moi, l’avenir est la stérilisation. Peut-être y aura-t-il un jour, un Elon Musk de la stérilisation ! »
Jean-Paul Ortiz
Et l’on en revient à l’environnement…
« À un moment donné, réfléchissons si telle évolution est pertinente ou pas. A-t-on pensé à l’impact que cela aura sur l’environnement au sens large ? Parce que nous allons laisser à nos petits-enfants une terre qui va ressembler à une poubelle ! ».
Jean-Paul Ortiz
* Persistance, bioaccumulation et toxicité : l’indice PBT se compose de trois indicateurs et le score obtenu se situe entre 0 et 9. Le P mesure la persistance de la substance dégradée dans l’environnement.
Propos recueillis par Véronique Molières