Les Sentinelles de la RSE / Agence Primum non nocere
Jean-Marie Cartereau, responsable culturel du Centre Hospitalier Henri Guérin de Pierrefeu-du-Var, artiste et formateur.
« L’art pour sortir de l’isolement et retrouver son identité »
Quelle est votre rôle au sein de l’hôpital ?
Je suis responsable culturel au sein de cet établissement public de santé (EPS) qui intervient dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale. Cela comprend bien sûr les ateliers artistiques, un lieu ouvert aux patients, mais aussi des expositions de nos patients artistes en France et à l’étranger avec Carla van der Werf, responsable des projets internationaux, notamment aux Pays-Bas, en Allemagne et en Hongrie. Et toute une dynamique créative tissée au fil du temps avec des textes, des catalogues, des rapports…
Comment est né ce projet au sein de l’hôpital ?
Je suis diplômé des Beaux-Arts et je me destinais à l’enseignement artistique. Par un concours de circonstances, j’ai été amené à mettre en place en 1987 des ateliers artistiques au sein du Centre hospitalier de Pierrefeu-du-Var, aujourd’hui hôpital Henri Guérin, pour fêter le centenaire l’établissement. Cette démarche a vu le jour grâce à trois artistes, Henri Comby, sculpteur et initiateur du projet, Carla Van Der Werf, sculpteur, formatrice en art-thérapie, et moi-même, artiste plasticien et formateur en art-thérapie, et le soutien du directeur de l’établissement de l’époque, Armand Morrazani. Puis dès 1988, le centre hospitalier a institutionnalisé les ateliers dans le cadre du projet d’ouverture des hôpitaux psychiatriques. L’objectif était de sortir les patients de leur chronicité, de les aider à retrouver leur identité grâce à la peinture, la gravure, la sérigraphie… Il n’y avait alors aucune approche soignante. Puis le projet a pris de l’ampleur. Dès la première année, nous avions produit plus de 1000 dessins. En 1992, une galerie d’exposition a été créée dans l’enceinte de l’hôpital. Elle est le lieu où le travail du patient-artiste est reconnu et partagé. Au fil du temps, nous avons établi des liens avec les soignants et travaillons désormais, dans certains cas, avec une fiche d’indication thérapeutique du médecin et un protocole établi pour des prises en charge en art-thérapie. Nous avons développé un savoir-faire, un regard, une observation des patients. Ces derniers peuvent être hospitalisés à temps plein, de jour ou depuis quelques années venir en Centre d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel (CATTP), adressés par les Centres médico-psychologique (CMP). Dans le cadre de cette évolution, nous avons été formés au dossier patient. J’accompagne la plupart des pathologies : des enfants autistes, des adolescents, des adultes, des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer. Au cours des années, les disciplines artistiques proposées se sont diversifiées : outre le dessin, la peinture, le modelage ou la sculpture, les patients ont à leur disposition un atelier de gravure et un de céramique. L’expression est un formidable vecteur pour sortir de l’isolement. L’originalité de ces ateliers est qu’ils se situent à mi-chemin entre la culture et la thérapie. En trente ans, la psychiatrie a beaucoup évolué. Nous menons désormais un travail davantage tourné vers la Cité. Dans les ateliers, ce qui prédomine, c’est l’accueil et l’observation. Les personnes ne sont pas obligées de peindre, ni de faire quelque chose, elles peuvent juste exister, là, en un lieu, à un moment donné.
Quel lien justement faites-vous entre ces ateliers artistiques et le développement durable ?
Les liens avec le développement durable se font en parallèle des ateliers eux-mêmes. Carla Van Der Werf travaille avec le service des sports du Centre hospitalier dans le cadre de séjours qui associent sport et culture. Les patients, cinq ou six, partent en randonnée dans les Hautes-Alpes ou les Alpes-de-Haute-Provence, et expérimentent le Land art. Cette approche permet d’appréhender le corps et l’art, de porter son regard sur la nature, voire même d’aborder la diététique. Les patients-artistes ont également mené un projet de récupération des déchets sur la plage avec le peintre Jean-Christophe Molinéris (animateur des ateliers) qui a donné lieu à une exposition « La mer dans tous ses états ». L’objectif de toute la démarche est de permettre à chacun, grâce à la culture, de retrouver la perception de sa propre originalité. À mon sens, le développement durable, c’est de l’art en tant que réflexion.
Quelles sont les actions exemplaires récentes qui ont vu le jour grâce aux ateliers artistiques ?
En 2018, nous avons réalisé une exposition pendant six mois au Centre d’art contemporain de Châteauvert avec pour titre « Art brut y es-tu ? ». Elle mettait en miroir le travail de cinq artistes de nos ateliers et de cinq artistes contemporains(1). Et depuis l’an dernier, dans le cadre d’une convention culturelle avec la ville de Pierrefeu-du-Var, nous menons un travail entre autres avec les enfants des écoles et les patients dans le cadre d’un projet théâtral annuel « Théâtre et déraison ».
Qu’auriez-vous envie de dire à d’autres pour leur donner envie d’agir ?
Nous avons eu la chance d’arriver à un moment où l’hôpital psychiatrique était perçu dans la mémoire collective comme un lieu de souffrance et se devait de modifier son image. Les ateliers artistiques ont été soutenus par la direction de l’établissement et leur intérêt a été bien compris. La France a une réelle histoire avec l’art-thérapie. Cette pratique s’intègre complétement dans le nouveau mode de prise en charge qui fait sortir les patients de leur chronicité et a une fonction dé-stigmatisante donc elle ne peut que prendre de l’ampleur, si elle est bien expliquée.
Propos recueillis par Isabel Soubelet (isabel.soubelet@sfr.fr)
(1)Patrick Balivet, Thomas Evans, Andros Gemelli, Michèle Gazanhes, Ange Casanova pour les patients artistes, et Gérard Eppelé, Henri Comby, François Arnal, Michel Dufresne, Buddy Di Rosa, pour les artistes.