Les sentinelles de la RSE
Jane Muret, l’anesthésiste qui ne se laisse pas endormir
Pour Jane Muret, l’environnement est un combat de longue date : enfant déjà, elle accompagnait son père, fonctionnaire au ministère de l’Environnement, pour collecter les déchets des plages et des bords de mer. Mais au moment de choisir son métier, elle opte pour la médecine. « Quand j’ai dû choisir ma spécialité, je ne me voyais pas travailler toute seule en tête à tête avec les patients en cabinet. J’aimais le côté famille, entreprise collective… ».
Ce sera donc l’anesthésie-réanimation, discipline transversale par excellence, qui retiendra son choix. Elle étudie à Paris, à la Pitié Salpêtrière, puis travaille pour les centres de lutte contre le cancer-, à Gustave Roussy, à Villejuif puis à Curie à Paris. « Au contact du cancer, on change. On se met à relativiser beaucoup de choses ». Et on commence aussi à se poser des questions. Jane Muret vit l’épidémie exponentielle de cancers en première ligne et s’interroge sur le côté pollueur de l’hôpital. « Les cancers sont liés à des facteurs environnementaux. L’hôpital ne peut se permettre de rendre les gens malades. Ce côté gros consommateur d’énergie, guirlande de Noël en permanence, l’absence de tri, les achats de plastiques… »
C’est lors d’une année aux États-Unis, en 2010, à Washington DC, que Jane Muret va confirmer sa prise de conscience. « En France, on était en retard. Les établissements publics américains triaient déjà leurs déchets. » De retour, Jane Muret passe à l’action avec un groupe de travail dans son hôpital. Sa première présentation au Congrès de la SFAR (Société française d’anesthésie et de réanimation) en 2015 rencontre un écho inattendu et un soutien de la SFAR qui lance un comité ad hoc. Ce dernier coéditera avec le C2DS et l’agence BVM le « Guide pratique du développement durable au bloc opératoire ». Le développement durable dans l’anesthésie-réanimation est lancé ! «
C’est au bloc opératoire qu’il y a le plus de consommation d’électricité, de personnel, de déchets… Les blocs sont des lieux anxiogènes et stressants, il y fait froid, on y est confronté à la mort sous des néons et au milieu des bips des machines… On est loin de conditions de travail agréables ! L’idée qu’on puisse faire du développement durable au bloc et que cela puisse avoir un impact positif sur les équipes paraissait absurde, au départ. Mais il y a eu de vraies avancées ! » Comme la notion de patient debout. Au lieu d’arriver sur un brancard, couché, éblouis par des néons, et porté par des brancardiers mutiques, les patients se rendent maintenant au bloc en marchant. Les brancardiers, qui ont suivi une formation d’hypnose conversationnelle, leur parlent et, effet collatéral, ont vu diminuer leurs troubles musculo-squelettiques. Autre gros dossier du DD au bloc : l’usage de gaz anesthésiques qui sont aussi des gaz à effet de serre.
« Des physiciens ont retrouvé dans l’atmosphère une accumulation de gaz halogénés qui proviennent obligatoirement des blocs opératoires : nous sommes les seuls à les utiliser. Nous avons donc communiqué sur ce sujet car il y a moyen de mieux et moins utiliser ces gaz. Les ventes ont alors commencé à chuter. Les industriels qui les commercialisent l’ont remarqué et ont proposé une solution pour récupérer et recycler ces gaz et éviter ainsi de les répandre dans l’atmosphère ! » Le résultat d’un beau bras de fer. Pourquoi les anesthésistes-réanimateurs doivent-ils s’intéresser au changement climatique ? « Parce que nous sommes en première ligne sur tout : évènements climatiques extrêmes, canicule, épidémies. La crise de Covid-19 l’a bien montré. »
Alors autant lutter contre !
Propos recueillis par Véronique Molières – https://www.bvm-communication.com/